L'accès à l'assainissement pour tous, un défi pour le continent africain.

Entretien avec Dr. Canisius KANANGIRE, Secrétaire Exécutif du Conseil des Ministres Africains Chargés de l'Eau (AMCOW)

Quels sont les défis du secteur de l'assainissement en Afrique ?

Les défis du secteur de l'assainissement en Afrique sont nombreux et complexes, d'abord au niveau des politiques, peu structurées qui complexifient la place de l'assainissement dans les agendas. Nous faisons face à une difficulté à pénétrer le monde de la formulation politique, avec des argumentaires tels que : " nous voulons maintenant donner une place privilégiée à l'assainissement ", ce genre de discours entre en compétition avec des domaines, qui pour beaucoup de nos pays figurent en tête de liste des priorités. Par exemple, les infrastructures en énergie, les infrastructures digitales et les infrastructures de transport. Donc, le défi majeur demeure le rehaussement l'assainissement en tête sur les agendas.

Deuxièmement, une autre difficulté survient lorsque nous devons amener les ministres des finances et les ministres chargés de la planification à considérer l'assainissement comme un domaine prioritaire en termes de budget, parce qu'ils ne voient pas immédiatement les dangers que représente le manque d'assainissement adéquat pour tous. En général, on intervient au moment où le choléra est là, mais on intervient peu ou pas lorsqu'il s'agit de prévenir la maladie. Ceci est encore un défi devant passer par des efforts considérables en plaidoyer, mais aussi à travers un travail de fond pour atteindre un changement de mentalité. Le renforcement de capacités est aussi un domaine où je pense que nous n'avons pas adopté les technologies qu'il fallait. Actuellement, dans plusieurs États, on constate qu'ils en sont encore à l'étape de construction de réseaux d'égouts, et cela coûte extrêmement cher. En observant le continent, on se rend compte que seulement 10% sont connectés au réseau, donc 90% utilisent des latrines non-connectées. Il nous faut adopter des technologies nous permettant le traitement sur le lieu, et in situ, mais de manière bien contrôlée. De telles technologies existent, mais ne sont pas efficacement partagées. Par conséquent, notre défi est de vulgariser ces technologies et de les faire adopter, d'abord par les politiques, ensuite par les services de support technique, et enfin par toute la population.

Quel est l'engagement de l'AMCOW vis-à-vis de l'assainissement en Afrique ?

L'engagement de l'AMCOW vis-à-vis de l'assainissement en Afrique est d'abord d'influencer les politiques, pour que l'Afrique ait des politiques qui permettent d'améliorer les services en matière d'assainissement, que ce soit en milieu rural ou urbain. Ceci est particulièrement important parce que nous avons des situations qui sont très alarmantes sur le continent, avec une forte croissance de la population et l'urbanisation qui se fait dans plusieurs villes de manière anarchique. En Afrique, l'assainissement constitue un problème très important qu'il faut résoudre si nous aspirons au développement.

Dans le cadre de nos activités, nous voulons accroitre la contribution financière allouée au secteur de l'eau et de l'assainissement. Nous souhaitons voir, dans les budgets annuels de chaque pays, une allocation suffisante au secteur de l'assainissement. Cela va donner également beaucoup plus de courage et de volonté aux bailleurs de fonds qui viendront appuyer les efforts des pays africains. Là, nous avons un projet de créer une plateforme où nous allons amener les ministres des finances avec leurs collègues du secteur de l'eau et de l'assainissement, pour qu'ils discutent des besoins d'approvisionnement en eau, mais aussi en services d'assainissement afin qu'il y ait des moyens conséquents alloués dans ce domaine. Nous pensons que si nous faisons bien l'assainissement, nous allons certainement contribuer au développement socio-économique de nos populations. Donc au niveau des politiques nous avons comme objectif d'améliorer la capacité du point de vue individuel, donc l'expertise que les gens vont avoir, à savoir comment nos ingénieurs adoptent de nouvelles technologies en matière d'assainissement, c'est quelque chose de très important. Et deuxièmement, au niveau des institutions, comment est-ce que nous institutions sont structurées, est-ce qu'elles sont bien organisées pour pouvoir effectivement rendre les services que nous attendons d'elles, ou est-ce qu'il y a des améliorations que nous devrions apporter ? AMCOW va capitaliser toutes les expériences au niveau mondial comme africain et les amèneront sur la plateforme afin que nous puissions avoir la possibilité d'apprendre de nos paires.

En quoi consistent les objectifs de l'AMCOW vis-à-vis des deux grands évènements que sont l'Africa Water Week et AfricaSan ?

La Semaine africaine de l'eau et la conférence sur l'assainissement AfricaSan sont pour nous des lieux privilégiés d'échange de connaissances, d'idées et de pratiques. Le monde vient vers l'Afrique et s'occupe des questions qui sont brûlantes pour le continent africain en matière d'eau et d'assainissement.

Ce sont aussi des plateformes privilégiées pour les Africains d'apprendre entre eux. Un pays comme le Rwanda apprendra par exemple du Sénégal, verra ce qu'il se passe au Maroc, en Afrique du Sud, et vice-versa. Nous apprendrons l'un de l'autre. Nous verrons ce qui est à la base des progrès dans ces pays-là : est-ce que ce sont les politiques qui ont changé, est-ce que c'est la méthode d'enseignement, est-ce que ce sont les investissements qui ont changé, etc. ? L'émulation est très facile dans ces conditions-là.

C'est également le moment d'amener la jeunesse avec nous. Il y a beaucoup de scientifiques, beaucoup de jeunes qui viennent : nous passons le flambeau progressivement à la génération qui sera demain en charge du leadership dans ce domaine-là. On attend beaucoup du point de vue de connaissance, beaucoup du point de vue de changement de politique.

Il y a un segment politique dans ces deux conférences. A ce moment-là, les ministres ont l'occasion d'interagir entre eux et de parler de ce qui constitue la base du succès dans d'autres pays, ou de leur manière à eux d'aborder les questions qui seront évoquées pendant la conférence. Ce segment politique en général se termine par une déclaration qui guide nos actions pendant la période entre deux conférences, avec des suivis qui vont amener certains pays à placer des priorités dans les domaines qui seront identifiés pendant la conférence.

AfricaSan 5 qui va avoir lieu à Abidjan en février 2019 est très particulier, parce qu'elle va se faire parallèlement avec la Conférence mondiale sur la gestion des boues de vidange, FSM5, et ça c'est également quelque chose de spécial, parce que nous verrons pendant notre séjour à Abidjan comment le monde traite les déchets fécaux, que ce soit en Inde, en Chine, en Amérique latine, on prendra des leçons du monde occidental qui est déjà développé. L'assainissement pris de manière générale dans AfricaSan va être complété par les connaissances et les technologies et le savoir et expériences que nous allons avoir du côté des boues de vidange, qui est un problème très important sur le continent africain où on compte encore des centaines de millions de personne qui pratiquent la défécation à l'air libre.

Le Conseil des Ministres Africains Chargés de l'Eau (AMCOW) a été créé en 2002 à Abuja au Nigeria, ayant principalement pour objectif de promouvoir la coopération, la sécurité, le développement social et économique et l'éradication de la pauvreté dans les États membres à travers la gestion efficace des ressources en eau du continent et la prestation de services d'approvisionnement en eau.

Dr. Canisius Kanangire est le Secrétaire Exécutif de l'AMCOW depuis 2016.