M. Yaoura Konan, premier adjoint au maire de Yamoussoukro - " Il faut définir des mécanismes de financement pour permettre aux plus démunis d'avoir des toilettes ".
Les élus locaux d'Afrique sont résolument engagés à jouer pleinement leur rôle afin d'assurer l'assainissement universel à leurs populations. C'est à l'image de Yamoussoukro, cette ville ivoirienne qui se distingue par des initiatives allant dans ce sens. Son maire, M. Yaoura Konan, rencontré dans les coulisses de la Conférence internationale sur l'assainissement, AfricaSan et FSM5 tenue à Cape-Town (Afrique du Sud), plaide pour une implication totale des maires dans la définition et la mise en œuvre de stratégie d'assainissement équitable. Dans cette même dynamique, M. Konan invite les Etats à définir un cadre institutionnel permettant aux maires d'être des acteurs actifs dans l'assainissement autonome. Il pense également à la définition de mécanismes de financement pouvant permettre aux plus démunis d'avoir des toilettes. Entretien...
M. Le Maire, 30 élus locaux africains ont réaffirmé leur engagement à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies d'assainissement équitables au profit de leurs administrés. Quelle appréciation faites-vous de cet acte posé dans le cadre d'AfricaSan5 qui s'est tenu à Cape-Town ?
L'acte a un côté très positif parce qu'il permettra aux maires d'échanger sur les meilleures pratiques en matière d'assainissement. Une fois que les forces sont mises ensemble, cela peut permettre d'aller loin parce que les acteurs auront la même vision et pourront ainsi s'appuyer mutuellement à travers une collaboration Sud-Sud.
Est-ce que vous pouvez nous donner une esquisse de ce que devraient être ces stratégies d'assainissement équitables ?
Pour qu'une stratégie d'assainissement soit équitable, il faudrait d'abord que les maires soient totalement associés. Ce sont eux qui sont à côté des populations et ils vivent au quotidien ce qui se passe au sein de leurs administrés. Ensuite, il faut que chaque pays définisse une politique particulière adaptée à la collectivité. Ce sont les maires qui peuvent apprécier la meilleure politique pour leurs administrés.
Pour moi, la stratégie doit s'appuyer sur la chaîne de valeur de l'assainissement. Nous devons impérativement répondre à ces questions : que faire pour que les ménages puissent accéder aux toilettes, que faire pour que la collecte se fasse correctement, comment faire pour que le transport se fasse efficacement et enfin comment traiter convenablement les boues fécales. Comme les maires seront en réseau, ils pourront alors échanger pour identifier des meilleures stratégies et des méthodes adéquates.
La place des Maires est jugée prépondérante pour résoudre le problème de l'assainissement. Comment faire pour réussir là où les Etats ont presque échoué si l'on sait que les collectivités ont des ressources limitées ?
Que ce soit au niveau de l'Etat ou des collectivités, le problème de ressources se pose. Mais pour réussir, il faut une coopération étroite avec les organismes de financement, avec des fondations comme celle de Bill & Melinda Gates et puis associer les ONG comme SpeakUpAfrica pour présenter la situation aux organismes de financement.
L'Afrique n'a pas des ressources suffisantes mais dans le cadre des ODD 6.2, la communauté internationale doit aider l'Afrique. Les possibilités ne manquent pas et il y a des poches, des budgets qui sont là et qu'il faut y aller en regroupement pour présenter des programmes avec des objectifs biens définis.
Nous pensons qu'après cette rencontre des maires, il faut que le réseau des élus locaux francophones engagés dans l'assainissement autonome et celui des maires anglophones puissent nouer des partenariats pour échanger sur les expériences. Les planches de convergence entre les deux réseaux vont fortifier les maires.
En réalité c'est au niveau du cadre institutionnel que le problème se pose. Aujourd'hui, les maires ont l'assainissement mais la définition réelle de leur pouvoir ou des actions qu'ils peuvent réaliser n'est pas concrète. Il faudrait définir un cadre institutionnel qui permette aux maires d'être des acteurs actifs dans l'assainissement autonome.
Aujourd'hui, comment cette question de l'assainissement est gérée dans votre ville ?
Yamoussoukro a une chance exceptionnelle. Elle a été choisie comme ville pilote du Programme de Renforcement des capacités des opérateurs de l'assainissement autonome et de la gestion des Glossary Link boues de vidange en Afrique (RASOP-Africa). Ce projet a permis à Yamoussoukro de faire l'état des lieux, de définir un plan d'amélioration des performances.
A partir de cela, nous avions défini une politique et stratégie en assainissement autonome. Ce qui nous a permis de rencontrer SpeakUpAfrica. Aujourd'hui, nous avons commencé une phase qui est l'accès des ménages aux toilettes. Dans cette phase, 2 toilettes ont été construites en milieu scolaire.
Nous pensons qu'il faut définir un mécanisme de financement pour permettre aux plus démunis d'avoir des toilettes. Il faut mettre en place une politique de sensibilisation pour permettre aux gens de savoir que quand ils laissent couler les eaux usées, ils sont exposés à toute sorte de maladie. Nous avons fait des inspections de telle sorte que la collecte se fasse en trois phases : à la demande, par motivation et selon inspection.
Nous comptons beaucoup sur Speak Up Africa et la Fondation Bill & Melinda Gates pour mettre en œuvre cette politique. On a commencé la première phase. Il faut la deuxième phase parce que le projet RASOP a favorisé l'environnement de telle sorte que l'Office National de l'Assainissement et du Drainage (ONAD) a prévu de construire une station de boues de vidange.
En plus de cela, il faudrait améliorer les autres maillons de la chaîne de valeur à savoir le transport et la collecte. Dans cette optique il va falloir renforcer les capacités des vidangeurs notamment par rapport à la qualité de service.
Est-ce qu'il y a une réelle volonté politique devant permettre aux collectivités territoriales de jouer pleinement leur rôle dans la gestion durable de l'assainissement ?
En matière d'assainissement, le cadre législatif et réglementaire doit être clairement défini. Les collectivités locales ont le devoir et doivent être impliquées dans la prise en charge des questions d'assainissement. Cependant nous sommes limités, nous ne pouvons agir sans des textes clairs. Ces textes doivent mentionner clairement que l'Etat est maitre d'ouvrage, les communes soient maitre d'œuvre.
Ce modèle a été appliqué dans le secteur de l'énergie avec la société Côte d'Ivoire Energie qui est maitre d'ouvrage dans la réalisation des projets de ce même secteur.
Le même schéma doit être reproduit avec l'ONAD (L'Office National d'Assainissement et du Drainage) qui sera maitre d'ouvrage délégué et les communes maîtresses d'œuvre. Ceci est d'autant plus pertinent que l'ONAD n'a pas de structure déléguée dans les régions, laissant ainsi un vide à combler par délégation de pouvoir.
Quelle place accordez-vous à la sensibilisation et l'éducation sur l'hygiène et l'assainissement afin de contribuer à un changement de comportement des populations ?
Il faut reconnaître que les pays africains ont le savoir-faire mais il leur manque le savoir être, pour se développer. Ce qui n'est pas seulement spécifique à l'assainissement.
C'est pour cela, dans nos programmes, la partie sensibilisation, formation doit être renforcée. Nos communes n'ont pas les compétences pour ça et nous comptons sur les ONG pour nous accompagner dans la sensibilisation des populations.
Pourquoi ne pas penser à créer des Institutions de formation en hygiène et assainissement. Je sais que dans le cadre du MCC, il y a un volet pour ça mais il faut créer une école dédiée aux métiers de l'assainissement. En Côte d'Ivoire, le MCC, l'Association Africaine de l'Eau (AAE) et d'autres structures sont en train de travailler dans ce sens.
Au terme d'AfricaSan 5/SMN 5, les acteurs de l'assainissement ont décidé d'aller vers des actions concrètes sur les 12 mois à venir. Selon vous, quels devraient être les grands défis auxquels, les élus locaux devront faire face pour mieux jouer leur partition dans l'atteinte de l'ODD 6.2 ?
Il s'agit en premier lieu de l'harmonisation du cadre de vie en conformité avec le cadre institutionnel pour chaque Etat. Donc, il faut que les maires soient associés parce qu'ils sont plus proches des populations. Il faudrait aussi que les organismes acceptent d'accompagner les collectivités sur des projets spécifiques.
Il faut que la population soit engagée et motivée à jouer sa partition avec l'aide de la formation, de l'information et la sensibilisation pour que l'assainissement inclusif soit une réalité pour tous.